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 J'accuse

Vous le savez, c’est le titre d’un article d’Émile Zola au cours de l’affaire Dreyfus en 1898.  Mais, ce n’est pas du tout mon cas, je voulais juste attirer votre attention.  Visiblement, si vous me lisez, c’est que j’ai réussi !

Accuser. Je laisserai ce soin à d’autres, dans et hors de l’Église, qui ne s’en sont pas privés.  Pour ma part, je veux simplement m’interroger et interroger ?  Qui suis-je ?  Ni un grand théologien, ni un juriste, ni un philosophe …  Je suis simplement un prêtre, mais bien plus que cela, je suis, comme tout baptisé, un membre du Peuple de Dieu, autrement dit un chrétien.  Je ne suis porte-parole … que de moi-même. C’est en raison de ma dignité de baptisé que j’écris ces quelques lignes. Pour ma part, je suis pleinement dans l’Église, avec ses grandeurs et ses bassesses car elles sont mes grandeurs et mes bassesses et il serait par trop facile de m’en distancier lorsqu’elle ne montre pas la beauté que l’on attend d’elle ou que j’attends d’elle. Malgré tout ce qui peut arriver, je suis heureux d’être prêtre à son service et aux services de mes frères depuis 35 ans.   C’est un peu facile d’être « dans l’Église en n’y étant pas, mais en y étant quand même, mais pas vraiment tout-à-fait … »

Et tout d’abord, ne peut-on pas pardonner à François d’avoir utilisé un mot qu’il n’aurait évidemment pas dû utiliser ?  Vous êtes-vous mis un instant à la place d’un monsieur de presque 90 ans, s’exprimant après un réel marathon, sans « aucun filet » ?  Qu’aurions-nous dit dans de telles circonstances ?  Autre chose est un discours, une homélie qui a été écrite à l’avance et relue par d’autres, autre chose est un mot qui jaillit du cœur d’un homme qui tient tant à la vie : à la vie de la terre - Laudato Si’ -, à la vie de chaque homme - Fratelli Tutti - ; un Pape qui veut que chacune et chacun devienne le saint, le sainte que Dieu veut pour lui - Gaudete et exsultate - !

Mais, creusons un peu !  Vous l’avez bien entendu, François ne parle pas des femmes qui demandent et vivent un avortement ; jamais il n’a banalisé la souffrance de celles qui vivent des grossesses non-désirées. Ce n’est pas non plus parce que l’Église est opposée à l’avortement, qu’elle laisse ces femmes se débrouiller seules.  Il est bon de rappeler que des membres de l’Église et des groupements d’Église accompagnent ces femmes qui ont décidé de pratiquer l’IVG, avant, pendant et après.   

Personnellement, je suis convaincu que les médecins qui les pratiquent sont pleins d’humanité et d’empathie. Mais à travers les médecins dont il parle, n’est-ce pas plutôt nous, société, qu’il appelle « tueurs à gage » ? Les médecins exécutent une loi ; cette loi, nous l’avons appelée de nos vœux - majoritairement - dans notre pays.  Et si nous nous trompions de cible ? Si, au lieu d’aller en aval, il nous fallait remonter en amont ?  Car il me semble qu’avant d’être une question de morale, l’avortement est d’abord et avant tout une question de justice sociale et une question sociétale.  Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui encore, au XXIème siècle, des femmes en arrivent à devoir interrompre leur grossesse ?  Car, cela va sans dire, je suis convaincu qu’aucune ne le demande par gaieté de cœur.

Laissez-moi aller plus loin en parlant de mon expérience de prêtre, appelé à animer de nombreuses retraites et recueillant donc tellement de confidences.  Parmi les femmes qui ont vécu un avortement et qui se sont confiées à moi, ce sont toujours les mêmes causes qui reviennent. Ce n’est sans doute pas exhaustif, mais je ne veux parler que de choses que je connais. 

La première, c’est : « Je n’avais pas les moyens financiers d’élever un enfant ou un enfant de plus. »  Je vous l’ai dit : justice sociale …  Les différents niveaux de pouvoirs de notre pays en font-ils assez pour diminuer les inégalités sociales, pour promouvoir des allocations familiales, des aides financières, psychologiques …  Sans doute, cela revient-il plus cher que de rembourser les IVG, mais n’est-ce pas se voiler la face à très bon marché.  « Oui, mais monsieur l’abbé, nous vivons une période très difficile et l’État (les régions, les communautés …) n’a pas les moyens » …  Laissez-moi sourire ou plutôt pleurer lorsque je vois d’un côté tel ou tel budget et d’un autre côté à quel point nos pauvres services de santé tellement applaudis lors de la crise de la Covid, sont toujours étranglés ! Et si vraiment c’est le cas, suis-je prêt à payer encore plus d’impôts pour qu’on leur accorde une aide substantielle ?  Pas simple …

La deuxième cause : « Dès qu’il a appris que j’étais enceinte, mon copain m’a quittée ».  N’est-ce pas aussi, en quelque sorte de la « justice sociale ou sociétale » ?  On a reproché au Pape ses propos sur la femme (je vais y revenir), mais notre société parle-t-elle assez de la responsabilité des géniteurs et donc des hommes.  Et là, c’est sans doute toute l’éducation qui est à revoir.  Nous sommes encore et bien trop dans une société machiste où la responsabilité d’une grossesse incombe souvent encore à la femme seule.  Alors, si le géniteur s’en est allé courageusement, que faisons-nous ?  Par l'IVG de la fille, il est tout-à-fait relax ...  Quelle honte !  Je vous rapporte ce que m’a confié une enseignante.  Dans son école, une jeune fille de 16 ans est enceinte.  Abandonnée par le papa de l’enfant, elle veut garder l’enfant, contre l’avis de sa famille (là aussi, je vais y revenir).  L’école s’est mobilisée : financièrement, en lui préparant tout ce qu’il fallait pour l’enfant, et aussi, lorsqu’elle avait une visite médicale ou qu’elle était fatiguée, pour lui donner des cours particuliers, y compris le weekend.  Ce n’est pas une parabole que je vous raconte, mais un fait bien réel qui fait, aujourd’hui encore mon admiration pour les enseignants et cette école.  Et si c’était un devoir de notre société de devenir le « papa » si celui-ci est défaillant, en faisant tout ce que cette école a fait.  Mais là aussi, qu’est-ce qui est le plus simple et le moins couteux ?

Et enfin : « Dans notre famille, pas question d’avoir une mère célibataire ; pense un peu à notre réputation ».  Eh oui, cela existe encore aujourd’hui.  Et là, c’est notre société du paraître.  La publicité n’arrête pas de nous dire ce que nous devons être et/ou faire pour être des « gens biens », dignes de respect, qui réussissent dans la vie et selon une expression que j’exècre, qui sont une « famille modèle ».  Quelle société voulons-nous ?  Une société parfaite ou une société parfaite parce que chacun y est accueilli avec ses pauvretés et ses difficultés.  Et là, c’est peut-être à nous personnellement que la question est posée.  Quelles sont mes valeurs ?  Pour quoi ai-je envie de me battre et de combattre ?

Je crains qu’au lieu d’aller à la base des problèmes, on s’en acquitte en réglant uniquement les conséquences de ceux-ci. Je le redis encore : il ne s’agit pas de minimiser la souffrance de ces femmes ; c’est même tout le contraire.

Le Concile Vatican II, en parlant de la dignité de la conscience morale disait (GS 16) : « La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre.  (…) Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale. »  Il est donc du ressort de chacun, en conscience, de décider, mais il importe que nous nous éclairions les uns les autres.  C’est pour cela que je me suis permis de donner mon avis; sûrement pas pour jeter de l'huile sur le feu.  

Et la femme ?

Tout d’abord, moi aussi, je suis offusqué par la réaction de l’UCLouvain qui envoie son texte alors que le Pape est toujours sur le parking de l’Aula Magna.  Je revois le sourire de la rectrice lorsqu’elle accueille François, ses mots de « joie et de gratitude » en le saluant … et puis un tout autre langage.  N’est-ce pas simplement ce que Jésus reprochait aux pharisiens ?  Je préfère un premier ministre, comme nous l’avons entendu, qui est clair vis-à-vis du Pape et s’exprime en face de lui.  Etonnant, non ?  Lorsque l’on sait que la réponse est déjà prête et qu’elle va être publiée.  Voici ce que le Pape a dit sur la femme : « Rappelons que la femme est au cœur de l’événement salvifique. C’est par le “oui” de Marie que Dieu en personne vient dans le monde. La femme est accueil fécond, soin, dévouement vital. C’est pourquoi la femme est plus importante que l’homme, mais il est mauvais que la femme veuille faire l’homme : non, elle est femme, et c’est “lourd”, c’est important. Ouvrons les yeux sur les nombreux exemples quotidiens d’amour, de l’amitié au travail, de l’étude à la responsabilité sociale et ecclésiale ; de la vie conjugale à la maternité, à la virginité pour le Royaume de Dieu et pour le service. N’oublions pas, je le répète : l’Église est femme, elle n’est pas homme, elle est femme. »  Je ne pense pas que François limite la place de la femme à la maternité.  Sinon, il devrait s’empresser de dire que les religieuses sont des moins-que-rien.  Il s’agit ici de la vision mystique de l’Église.  Apprenons à vraiment lire les textes, à les lire avec le recul qui s’impose.  Est-ce que dire que la femme est « accueil fécond », parler de « … vie conjugale et de maternité … » la limite à ces rôles ???  Vraiment, je suis étonné des réactions … Il dit ici que « la femme est plus importante que l’homme » et dans l’avion « que la femme est plus importante que le prêtre ».  Faut-il rappeler que ce sont trois textes de lois, adoptés dans le courant de l’année 2002 qui assurent la présence égale des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections législatives, européennes et régionales.  Mais depuis, qu’en est-il de la parité à tous les niveaux en Belgique, jusques et y compris en ce qui concerne les traitements …  Dans mon diocèse de Liège, il est vrai que ce sont « seulement » 66 % des laïcs engagés par notre Église locale qui sont des femmes …  Seulement 66 % : ayons de l’humour.  

Depuis Vatican II, l’Église dit que ce qui caractérise, ce qui « fait »  l’Église, c’est le Peuple de Dieu, c’est-à-dire, sur un même pied, laïcs, ordonnés, consacrés.  C’est saint Jean XXIII qui disait que le plus grand jour de sa vie, c’était le jour de son baptême.  Avec vous, je suis bien d’accord que cela est très, trop lent … mais en marche, en route, comme le disait le slogan de la visite du Pape.  Y aura-t-il un jour des femmes prêtres ?  Je n’en ai aucune idée, mais le fait de le demander à corps et à cris, n’est-ce pas une manière de dire que le prêtre serait supérieur aux laïcs et donc totalement contre-productif.  L’Église cherche à tâtons et parfois à la manière de la procession d’Echternach à redire l’égalité profonde entre chaque baptisé.  Elle essaie de le vivre ; ainsi le synode sur la synodalité.  Elle essaie, balbutie, mais elle ne renonce pas à vouloir vivre de mieux en mieux l’égalité entre tous les baptisés. La nomination de Rebecca Alsberge Charlier, remplaçant un évêque à la tête d'un vicariat territorial est un beau pas, non ? L’Église essaie de vivre cette égalité foncière entre tous les baptisés ; ainsi le synode sur la synodalité. N’est-ce pas en quelque sorte du cléricalisme que de revenir sans cesse au sacerdoce des femmes ;  Un cléricalisme qui dessert plus que ne sert une "Église Peuple de Dieu" ???  Je n’ai donc aucun problème si un jour mon Église décidait d’ordonner des femmes, mais surtout qu’on continue le travail pour montrer qu’un prêtre n’est pas un supérieur. 

Je lis que Georges-Louis Bouchez dit sur la Première : “La religion n’a pas sa place dans la conduite de l’Etat !”. Avec l’expression de l’humoriste GuyHome, je lui réponds : « Oui et non, oui et non ! » Il va de soi que nous ne sommes pas dans une théocratie et ce sont nos institutions qui sont à la barre … évidemment …  Le 3 avril 1990, la loi Lallemand-Michielsens était adoptée en Belgique.  Un peu plus tard, les évêques de Belgique publiaient une mise au point longue, doctrinale et pastorale à la fois.   Après, ... pas avant !!!  Si l’Église respecte le fonctionnement de notre État, peut-on lui interdire de donner son avis ; peut-on interdire au Pape de trouver que le Roi Baudouin « en avait dans le pantalon », selon ses mots dans l’avion, que l’on soit d’accord ou pas avec la décision de notre ancien Souverain ?  Celui-ci, je vous le rappelle, voulait que la Loi soit signée mais demandait que ce ne soit pas lui qui la signe, ne comprenant pas qu’il devrait être le seul à agir selon sa conscience.  La loi est bien passée et les propos du Pape n’y changeront rien.  Mais il a le droit et peut-être le devoir de dire que toute vie vaut la peine d’être vécue.   

Enfin, ce qui me frappe par-dessus tout, c’est que les thèmes du respect de la création, de la vente des armes, de l’accueil des migrants … et j’en passe … n’ont pratiquement pas ou pas du tout été relayés par les medias.  Pourquoi ?  Peut-être aussi parce que cela nous invite à de terribles conversions et il est tellement plus facile de crier haro sur le baudet que de regarder son propre cœur.  N’est-ce pas ce que François a osé faire en parlant et en parlant encore de sa honte et du devoir de toute l’Église de demander pardon, de condamner, de juger, de punir ? …


Pierre Hannosset, 

membre du Peuple de Dieu en tant que prêtre

Commentaires

  1. Excellente analyse ! Je souhaiterais que beaucoup la lise .
    Malheureusement, mon entourage, collègues, amis, étudiants sont très peu disposés à creuser la question et se sont lancés à corps perdus dans des commentaires virulents et peu étoffés. Il ne fait vraiment pas bon d’être Chrétien ……mais nous étions prévenus.…

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